L’illusion de l’élevage idyllique du pays d’Heidi s’effrite

La population suisse a rejeté l’initiative contre l’élevage intensif et a ainsi, pour l’instant, donné sa bénédiction à l’exploitation industrielle des animaux. Ce résultat peut être interprété comme un vote de confiance envers l’agriculture suisse. Il est toutefois plus probable que le nombre considérable de personnes initialement favorables à cette cause ait été massivement déstabilisé par la campagne de votation.

Cela est notamment dû à la supériorité financière du camp de l’opposition – composé essentiellement d’organisations paysannes et des filières de la viande et du lait – et sa campagne contre l’initiative : la loi suisse sur la protection des animaux en vigueur a été une fois de plus vantée haut et fort et les améliorations pour la protection des animaux visées par l’initiative ont été disqualifiées, soit-disant superflues. Et ce, malgré le fait que les conditions actuelles d’élevage et de transport, les pratiques d’élevage courantes et l’abattage quotidien des animaux s’opposent diamétralement au principe de protection de la dignité de l’animal et aux principes de la loi sur la protection des animaux.

Pour comprendre cela, il faut notamment jeter un coup d’œil sur l’ordonnance sur la protection des animaux. En tant qu’ordonnance administrative, elle a pour mission de concrétiser la loi sur la protection des animaux, qui a vu le jour suite à un vote démocratique. Ce faisant, l’ordonnance ne devrait ni accorder une protection allant au-delà de la loi ni en saper les principes légaux. Certes, elle interdit certains actes contraires à la protection des animaux, mais elle autorise en même temps de nombreuses interventions et formes de traitement qui servent en premier lieu à une utilisation des animaux qui soit la plus pratique possible. Citons par exemple l’écornage des bovins, des ovins et des caprins, la stabulation entravée des bovins, l’élevage des cochons sur des sols en béton nus, le raccourcissement de la queue des agneaux jusqu’à leur septième jour de vie sans anesthésie, le meulage des dents des porcelets, également sans anesthésie, ainsi que l’autorisation de l’étourdissement au dioxyde de carbone des cochons, dont la douleur et la panique sont avérées.

La dignité animale comme principe Constitutionnel

Là où l’ordonnance sur la protection des animaux ne contient pas de directives concrètes, les dispositions générales de la loi sur la protection des animaux s’appliquent. Il faut dans ce cas procéder à une pondération entre les intérêts des animaux et ceux des humains. La protection de la dignité de l’animal, en tant que principe constitutionnel et objectif de la loi sur la protection des animaux, sert ici de guide : tout intérêt ne peut pas justifier une atteinte à la dignité de l’animal. Les intérêts purement financiers ne suffisent pas. C’est pourtant ce qui se passe dans l’élevage intensif : ce qui n’est pas explicitement interdit par l’ordonnance sur la protection des animaux est considéré comme autorisé et justifié sans détour par une nécessité financière. Les besoins absolument fondamentaux des animaux sont subordonnés à la maximisation du profit et à la minimisation des coûts, comme c’est le cas dans l’abattage des poussins mâles dans l’industrie des œufs, les sélections cruelles de poulets de chair, la séparation de la vache mère et du veau pour la production laitière ou l’abattage des animaux après une fraction de leur espérance de vie naturelle.

Dans sa forme actuelle, la protection de la dignité des animaux bénéficie davantage à l’industrie de l’exploitation animale – qui le brandit comme argument de vente – qu’aux animaux victimes de ce système. C’est ce à quoi l’initiative contre l’élevage intensif s’est attaquée en confrontant un grand public à ce décalage entre la protection de la dignité animale sur le papier et les pratiques portant atteinte à la dignité animale. Elle a mis en évidence le fait que notre traitement des animaux non–humains est loin d’être une préoccupation individuelle marginale, mais bien un problème sociétal urgent. Les conditions intolérables dans les halles d’engraissement, les exploitations laitières et les abattoirs suisses sont devenus un sujet de débat national. Cela a contribué à ce que l’illusion de l’idylle paysanne suisse – un conte de fées créé à l’aide de la publicité pour la viande et le lait subventionnée par l’État – s’effrite peu à peu. Il s’agit maintenant de poursuivre ce combat avec détermination – jusqu’à ce qu’il soit enfin mis fin à l’élevage intensif.

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