La jungle brûle pour notre consommation de viande

L‘Amazonie abrite plus de la moitié des forêts tropicales humides du monde et représente environ un tiers de la surface mondiale des forêts tropicales. Notre alimentation est la cause principale du rétrécissement de ce biome existentiel pour le climat mondial à la vitesse d’une surface pouvant atteindre jusqu’à 10 000 kilomètres carrés par année.

En 2019, les images horribles venant du Brésil avaient fait le tour du monde – l’Amazonie était en feu et nous en étions témoins. Des vidéos montrant le désespoir de membres de tribus indigènes du bassin amazonien sont devenues virales. La population locale a vécu une catastrophe qui a rasé leur maison.

En plus d’entraîner la perte de moyens de subsistance des populations locales, la destruction des forêts tropicales menace le climat mondial. Les arbres des forêts tropicales stockent d’énormes quantités de carbone et fournissent plus d’un cinquième de l’oxygène planétaire. Ils représentent ainsi un facteur important dans la lutte contre le réchauffement climatique. La déforestation progressive est responsable d’environ un dixième des émissions mondiales de carbone. En effet, l’abattage, la combustion et la décomposition libèrent le carbone stocké dans les arbres.

La disparition des forêts est également catastrophique pour la biodiversité. La forêt tropicale abrite de loin la plus grande diversité d’espèces végétales et animales au monde. Plus d’un tiers de toutes les espèces de mammifères et d’oiseaux s’y trouvent, et beaucoup d’entre elles sont directement menacées d’extinction, comme par exemple le jaguar.

Selon le Global Forest Watch, 4,2 millions d’hectares de forêt tropicale ont disparu rien qu’en 2020. Selon l’Union internationale pour la conservation de la nature, ce sont 180 millions d’hectares qui ont été perdus au cours des dix dernières années. Au moins 20% de la forêt amazonienne a été défrichée. De plus, des études récentes démontrent que la forêt amazonienne perd en résilience se rapprochant dangereusement d’un point de bascule où elle ne serait plus que savane.

Tout cela soulève une question : pourquoi détruisons-nous des forêts tropicales qui nous sont vitales ?

L’élevage, en particulier la production de viande et de produits laitiers, est considéré comme la cause principale de la déforestation, il est responsable d’environ 80% de toutes les pertes de forêts. Des terres sont défrichées au nom de l’agriculture pour faire place à des pâturages et à la culture de plantes fourragères comme le soja. Le soja est la source de protéines principale dans l’alimentation des animaux d’élevage, ainsi près de 80% de la récolte mondiale de soja est destiné à l’alimentation des animaux d’élevage. L’énorme demande mondiale de soja et de viande de bœuf est satisfaite par des importations en provenance de pays comme le Brésil, le plus grand exportateur mondial de ces deux produits. Au vu de ce fait, il n’est pas surprenant que, dans le cas précis des incendies de brousse brésiliens, ce soient souvent les éleveurs·ses elles et eux-mêmes qui agissent en pyromanes. Lors des incendies de 2019, des « journées de feu » avaient été organisées pour défricher de manière ciblée des surfaces de forêt tropicale pour le pâturage. Il y a peu d’espoir que le gouvernement brésilien de Jair Bolsonaro agisse contre le défrichement de la forêt tropicale indigène. Au contraire – malgré les critiques internationales, il a, par le passé, affaibli le ministère brésilien de l’environnement, attaqué les ONG de protection des forêts et s’est engagé en faveur de l’exploitation de la forêt tropicale pour le bois, l’agriculture et l’extraction de matières premières.

Stopper la déforestation ne serait que la première étape. Une étude récente de l’EPFZ indique que, pour le bien du climat, nous devrions en fait commencer par un reboisement massif.

Les chercheurs·es affirment qu’il serait possible de reboiser une surface de 0,9 milliard d’hectares et d’absorber ainsi les deux tiers des émissions de CO2 produites par l’humain depuis la révolution industrielle. Cette étude met en lumière le double préjudice que le climat subit actuellement : le déboisement de la forêt tropicale d’une part et l’utilisation de cette nouvelle surface pour la production animale d’autre part. Au lieu de reboiser des surfaces pour compenser les émissions déjà produites, le mode d’exploitation actuel ne cesse d’en générer de nouvelles. À  l’origine de ce double impact climatique se trouvent toutes les parties impliquées dans le commerce des produits d’origine animale concernés – y compris la Suisse.

Le rôle de la Suisse

Pour couvrir la consommation suisse d’aliments pour animaux, nous avons besoin d’une surface – cultivée à l’étranger – de plus de 250 000 hectares, ce qui correspond presque au double des terres arables suisses. Seuls 15% des protéines brutes destinées à l’alimentation des animaux de rente peuvent être couverts par la production suisse. C’est pourquoi, en 2018, 268 000 tonnes de soja ont été importées en Suisse pour l’alimentation animale. Cette marchandise respecte en grande partie les normes environnementales minimales, comme par exemple l’interdiction de défricher les surfaces de forêt primaire. Toutefois, cette approche apporte malheureusement moins que ce que l’on pourrait croire au premier abord. Il est en effet plus probable que ces normes conduisent plutôt à un déplacement du problème. En effet, tant que la demande de soja augmente, le soja « durable » ne remplace pas la production conventionnelle, il la déplace plutôt des surfaces « durables » vers des surfaces nouvellement défrichées. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que l’alimentation des Suisses·ses est à l’origine de près de 30% de leurs dommages environnementaux et de 23% de leurs émissions climatiques indirectes. Tandis qu’une alimentation exclusivement végétale réduirait de moitié l’impact environnemental, ce qui engendrerait notamment une réduction de 76% de l’utilisation des terres. Il faudrait ainsi beaucoup moins de surface arable pour la production du même nombre de calories.

Pour nous, cela signifie que ce que nous mettons dans nos assiettes, ce que nous importons et la manière dont nous nourrissons nos animaux dans l’agriculture ont un effet mesurable – y compris sur la forêt tropicale.

Que faut-il donc faire ? 

La solution la plus simple serait l’abolition coordonnée au niveau international de l’élevage intensif, comme nous le demandons sous la forme d’une initiative populaire fédérale. L’énorme besoin en nourriture pour animaux, qui est étroitement lié au nombre d’animaux d’élevage, s’effondrerait drastiquement à la suite d’une telle mesure. Il ne serait tout simplement plus nécessaire de nourrir autant d’animaux. L’UE a publié son propre pacte vert, par lequel elle vise à renforcer la biodiversité et réduire les émissions de gaz à effet de serre à l’échelle paneuropéenne. Greenpeace a immédiatement fait remarquer que l’élevage industriel était presque entièrement exclu de ce plan. Il reste donc beaucoup à faire au niveau politique.

Outre les décisions radicales prises au niveau politique, le comportement individuel des consommateurs·ices peut avoir une forte influence. Plus il y a de gens qui se nourrissent à base de plantes, moins il y a de besoin d’aliments pour animaux.

Et pour cela, on a besoin de tout le monde. Comme l’a si justement dit l’explorateur polaire et écologiste Robert Swan : « La plus grande menace pour notre planète est la croyance que quelqu’un d’autre la sauvera. »

Cet article est la traduction d’un article de blog paru en allemand le 25 juin 2020.

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